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    L'actu vue par REMAIDES : "PLF/PLFSS 2024 : les propositions de AIDES" 

    • Actualité
    • 12.12.2023

    Par Jean-François Laforgerie 

    PLF/PLFSS 2024 : les propositions de AIDES

    logo assemblée nationaleLes discussions budgétaires de l’automne sont un moment clef pour porter des revendications qui sont autant d’améliorations du système de santé, notamment au bénéfice des populations clefs. AIDES a développé plusieurs propositions tant pour le projet de loi de finances (PLF) 2024 que pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2024. Responsable du plaidoyer institutionnel à la direction Plaidoyer de AIDES, Ines Alaoui revient pour AIDES.ORG sur les enjeux des débats en cours et les propositions de AIDES en matière de politique des drogues, de financements internationaux de la lutte contre le VIH, de transparence dans la fixation des prix des médicaments… Interview.

    À l’Assemblée nationale, la commission des Affaire sociales a entamé le 17 octobre dernier, l’examen du projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) 2024. Le marathon a duré trois jours, soirées comprises, pour examiner la masse d’amendements déposés pour toutes les formations politiques, avant l’examen du texte et des amendements votés en commission, en séance à partir du 24 octobre. On y trouve du sérieux, de l’anecdotique, voire même du baroque (voir encart N°1, ci-dessous). La société civile contribue, elle aussi, à enrichir les débats en proposant des amendements sur des points qu’elle considère comme cruciaux. C’est le cas, par exemple, de la Fédération Addiction qui a proposé des mesures dans le champ de la prévention, des haltes « soins addictions » (qui ont pris la suite des salles de consommation à moindre risque ou SCMR) ou en faveur de la mise en place d’une « politique des drogues guidée par les impératifs de santé ». Certains des amendements proposés ont été proposés conjointement avec AIDES ou encore l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux) (voir encart N°2, ci-dessous)

    Remaides : Pourquoi intervenons-nous dans les débats sur le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2024 et comment ?

    Ines Alaoui : On parle de discussions budgétaires concernant ces deux textes. Ils sont étudiés chaque année et permettent d'établir le budget de l'État et les objectifs de dépense de la Sécurité sociale. Nous nous investissons sur ces deux textes pour différentes raisons. D'abord parce que dans le cadre du projet de loi de finances, on peut travailler à la réallocation de certaines ressources publiques. Par exemple, depuis plusieurs années, nous menons un travail pour que des moyens dédiés à la répression dans certains domaines soient alloués à la prévention. On peut citer le travail du sexe ou l’usage de drogues. Autrement dit, nous voulons faire en sorte que des moyens financiers versés à des politiques qui attaquent les personnes en raison de leurs pratiques ou de leur métier aillent plutôt financer la prévention pour ces publics-là. Par ailleurs, dans le cadre du projet de loi de finances — un texte très large qui aborde de nombreux sujets  — est souvent abordée la question de l'aide médicale d'État [AME, ndlr], un dispositif que nous défendons en particulier dans un contexte où il est attaqué de toutes parts de façon très démagogue. Cette année, cette thématique sera abordée dans un autre cadre, la loi Asile et Immigration [dont l’examen a démarré au Sénat, le 6 novembre dernier, ndlr]. Enfin, dans un contexte où nous avons très peu de projets ou de propositions de loi qui concernent la santé, une des rares occasions que nous avons d’intervenir dans le processus législatif sur des questions relatives à l'accès aux soins, à la prévention, aux politiques du médicament en général, c’est le PLFSS.

    Remaides : Concrètement comment cela se passe-t-il ?

    Pour ces deux projets de loi, nous faisons un travail classique de plaidoyer parlementaire. C'est-à-dire que nous rédigeons et transmettons des amendements aux parlementaires. Nous les défendons auprès de certains-es élus-es pour les convaincre de la pertinence d'un dépôt de ces amendements et pour les accompagner dans la défense des éléments qui, de notre point de vue, légitiment ces améliorations de lois budgétaires. Dans la mesure du possible, nous faisons des propositions avec d'autres collectifs et associations sur les différentes thématiques. On doit noter qu'au cours des deux dernières années notamment, notre travail de plaidoyer parlementaire a été rendu de plus en plus difficile. À la fois par le fait que les amendements proposés par la société civile [dont les associations non gouvernementales comme AIDES font partie, ndlr] sont de plus en plus retoqués, c’est-à-dire rejetés sans débat par les services administratifs de l'Assemblée nationale et puis évidemment par la mise en œuvre successive de 49.3 sur les textes budgétaires qui excluent toute possibilité de débat et donc de discussions sur nos propositions d’amendements. Un amendement peut être retoqué à différents échelons : soit directement par les administrateurs et administratrices de l'Assemblée nationale, par le ou la président-e de la commission concernée [Affaires sociales, Finances… ndlr], par la présidente de l'Assemblée nationale et puis, en dernier recours, par le Conseil constitutionnel, si l’amendement a été adopté lors des débats. Ainsi, tout au long de son parcours, un amendement peut être retoqué et les nôtres sont de plus en plus souvent retoqués en amont de tout débat. C'est aussi lié à une accélération des rythmes des débats parlementaires où il y a une recherche de l'optimisation de ces temps-là qui passe par la suppression massive d'amendements qui, autrefoisétaient considérés comme recevables et débattus.

    Remaides : Que portons-nous comme revendications et propositions principales concernant le projet de loi de finances ?

    Notre mobilisation autour du projet de loi de finances a surtout porté sur les politiques des drogues, dans l’objectif de construire une politique des drogues qui soit compatible avec la santé et les droits des personnes usagères et qui ne soit pas fondée sur la seule répression. Nous avons aussi fait des propositions autour des enjeux de santé mondiale : cela passe par le financement de l'aide publique au développement et de celui du fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme via la taxe sur les transactions financières. Nous plaidons, chaque année, pour l'augmentation de son taux, ce qui permettrait d'élargir l'assiette — c’est-à-dire d’introduire plus de produits financiers (trading haute-fréquence et produits dérivés, par exemple) ouverts à une taxation.

    Remaides : Cette année, la question de l’Aide médicale d’État (AME) ne sera pas débattue dans le cadre de la loi de finances comme habituellement, mais dans le projet de loi Contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Quelles sont nos craintes concernant l'avenir de ce dispositif ?

    L’AME et le droit au séjour pour soins ne figuraient pas initialement dans le projet de loi qui a été proposé en février dernier au Sénat. Cette question a été ajoutée par les sénateurs et sénatrices. Ces deux dispositifs ont été attaqués en commission des Lois, par le dépôt d'amendements qui ont été adoptés, et qui visent à restreindre à la fois le droit au séjour pour soins et l'Aide médicale d'État. Et pour l’AME des restrictions telles qu’elles équivalent en réalité à une suppression du dispositif. Puis ce premier texte a été mis en suspens à la demande du gouvernement. Depuis plusieurs mois, l’AME est l’objet d’attaques continues. Elles sont certes menées depuis plusieurs années, mais rarement avec cette virulence et cette coordination. On assiste désormais au sein même du gouvernement à des positions différentes sur le sort de l’AME. On retient néanmoins qu’Elisabeth Borne s'est opposée à plusieurs reprises à sa suppression. Nous avons nous-mêmes eu des échanges avec le cabinet de Gérald Darmanin [ministre de l’Intérieur, ndlr], qui nous a assuré que le dispositif de l’AME n'était pas a priori concerné par le texte, et que ça ne les intéressait pas d'aller sur cette piste-là dans le cadre des débats de la loi Asile et Immigration. Nous n’en sommes plus là aujourd’hui. Le risque d’une suppression de l’AME existe.

    Remaides : Comment expliquer cette volonté de supprimer l’AME et les arguments avancés pour la justifier ?

    L'expertise concernant l’AME est établie de longue date. De nombreuses recherches montrent que ce dispositif ne crée pas « d'appel d'air », contrairement à ce qui est souvent avancé. Nous avons aussi des recherches qui démontrent que c'est un dispositif qui crée des économies pour l'État. C’est assez simple à comprendre : les politiques de prévention sont toujours moins coûteuses que les mesures de soins tardifs. Tout le monde a droit à des soins en fonction de sa maladie, sur le territoire français et indépendamment de sa nationalité ou de ses papiers. Des positionnements de plusieurs sociétés savantes, notamment la Société française de lutte contre le sida et la Société française de santé publique, de différents acteurs et actrices politiques, notamment du ministre de la Santé et de la Prévention [Aurélien Rousseau, ndlr], du porte-parole du gouvernement [Olivier Véran], du Conseil national du sida et des hépatites virales, du  Comité consultatif national d'éthique, défendent un dispositif absolument fondamental de prévention et de soins qu’il faut préserver. Plus largement, tous les acteurs et actrices de la lutte contre le VIH s'accordent à dire et, ce de manière unanime, que c'est un outil indispensable à la lutte contre l'épidémie. Et que jamais nous ne pourrons atteindre les objectifs de fin de l'épidémie en le supprimant ou en réduisant son champ.

    Une des explications à ce qui se passe aujourd’hui tient au contexte xénophobe général. Contre l'AME, il est souvent avancé l'argument qu'il n'est pas normal que des personnes qui ne cotiseraient pas aient accès à une forme de couverture médicale. Il est important de rappeler que l'Aide médicale d'État est un dispositif minimal, qu’elle n’assure pas une couverture médicale satisfaisante et que souvent les personnes qui bénéficient de l'AME cotisent en réalité. Nous réclamons depuis des années que l'Aide médicale d'État soit intégrée au régime général de la Sécurité sociale, pour assurer une réelle égalité des droits et protéger ce dispositif des attaques récurrentes de la droite et de l’extrême droite.

    Remaides : Quelles propositions faisons-nous avec nos partenaires concernant le PLFSS 2024 ?

    Il y a deux volets.  Comme je disais plus haut, le PLFSS est un des rares textes qui nous permettent d'intervenir sur les questions de politique du médicament. Cette année, une mission a été commanditée par la Première ministre. Cette mission a rendu un rapport concernant la régulation des dépenses du médicament, dont certaines conclusions étaient censées trouver leur traduction dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024. Parmi ces conclusions, deux sont des revendications de longue date des associations. La première porte sur la représentation des associations au Comité économique des produits de santé [CEPS, ndlr]. C’est l'organe interministériel qui négocie les prix des médicaments. Nous étions ravis de voir cette proposition dans le rapport. La seconde était la prise en compte des coûts de production et la transparence des coûts des médicaments dans la négociation des prix. Il est intéressant de constater que ces deux mesures parmi l'ensemble des mesures du rapport étaient les seules indiquées comme non consensuelles, ce qui peut être assez facilement attribuable au fait que les expertes et experts commandités-es pour la mission étaient largement issus-es de l'industrie pharmaceutique. Une autre des mesures avancées dans le cadre de ce rapport, était un affaiblissement de la « clause de sauvegarde ». Ce dispositif consiste au versement d'une contribution par les laboratoires pharmaceutiques quand leur chiffre d'affaires, réalisé en France pour les médicaments remboursables, a cru plus vite qu'un taux qui est défini dans la loi de financement de la Sécurité sociale. Dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2024 du gouvernement, on ne retrouve pas les deux mesures dites non consensuelles issues des combats de la société civile. En revanche, on retrouve très nettement une mesure d'affaiblissement de la « clause de sauvegarde » à travers deux outils. D'abord, une augmentation du niveau de seuil auquel se déclenche la « clause de sauvegarde » et par un changement de la méthode de calcul du montant de base. On réduit à la fois le champ concerné et on augmente le seuil ce qui concrètement entraîne une moindre recette de 120 millions d'euros pour l'Assurance maladie pour 2024. C’est un cadeau aux firmes pharmaceutiques. Ce n'est pas les associations qui le disent, c'est l'étude d'impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale qui dresse ce constat. Ce cadeau fait à l'industrie pharmaceutique est d’autant plus amer, quand, en parallèle, les pistes concrètes portées par les associations de patients et patientes pour réguler la dépense de médicaments ont été écartées.

    Remaides : Et quel est le second volet ?

    Celui sur la politique des drogues. Nous avons proposé des amendements sur des enjeux qui concernent le fonctionnement des établissements de santé et médicaux sociaux, les ESMS, sur les revalorisations des salaires et les financements attribués à ces établissements. Nous avons aussi défendu une suppression des sanctions pour consommation de produits, le renforcement des haltes soins addictions [qui prennent la suite des salles de consommation à moindre risque, ndlr] et la protection des personnes qui portent assistance aux victimes d'urgence médicale suite à une consommation de produits (overdoses, par exemple). Elles sont aujourd’hui mises en danger au moment où elles portent assistance aux personnes victimes du fait de la pénalisation de la consommation, notamment. Ces sujets ont fait l’objet d’amendements qui sont défendus par plusieurs associations comme la Fédération Addiction et l’Uniopss.

    Encart 1 : Rejet du PLFSS 2024 en commission le 20 octobre

    Il a eu peu d’effets au final, mais le revers a néanmoins été symbolique. Le 20 octobre, les oppositions à l’Assemblée nationale ont rejeté en commission des Affaires sociales le PLFSS 2024. Avant ce rejet global du texte, les articles fixant les objectifs de dépenses des différentes branches de la Sécurité sociale avaient été supprimés tour à tour, sous les tirs croisés des groupes d'opposition, avait constaté l’AFP. « Il n'est pas sincère votre budget », avait lancé le député écologiste Sébastien Peytavie, ciblant notamment un objectif d'évolution des dépenses de l'assurance maladie (+3,2 %) jugé insuffisant et des prévisions jugées irréalistes au regard des besoins et de l'inflation. Les groupes de gauche ont aussi déploré des mesures insuffisantes pour la prise en charge des personnes dépendantes. « Le compte n'y est pas », avait renchéri le député LR Yannick Neuder, soulignant que « l'ensemble des acteurs, publics et privés, font le même constat » de moyens insuffisants pour le secteur hospitalier. La rapporteure Renaissance du PLFSS 2024, Stéphanie Rist, s’est dit sidérée, soulignant que des amendements adoptés dans la semaine du 16 octobre avaient permis d'améliorer certaines dispositions du texte.

    Si on parle de geste symbolique, c’est que le gouvernement pourrait, une fois encore, décidé de recourir au 49.3 pour faire adopter son texte. Cet outil constitutionnel permet une adoption sans vote, sauf vote d'une motion de censure. Le gouvernement a alors le choix des amendements qu'il retient ou pas dans le texte. Avec ce PLFSS, le gouvernement vise notamment une économie de 3,5 milliards d'euros sur les dépenses de la branche maladie. Il compte atteindre cet objectif notamment par des baisses des dépenses pour les médicaments, les labos d'analyse ou encore un contrôle renforcé des arrêts maladie, et la lutte contre la fraude. Ce sont les dépenses de santé qui plombent principalement les comptes de la Sécurité sociale, dont le déficit est revu à la hausse à 8,8 milliards d'euros en 2023 puis à 11,2 milliards en 2024 dans les prévisions du PLFSS.

    Encart 2 : Haltes « soins addictions », un exemple d'amendement

    Voici un exemple d’amendement déposé à l’occasion du PLFSS 2024. Cet amendement, titré : « Haltes soins addictions, un dispositif de santé publique qui fonctionne : pour la fin de l’expérimentation et son inscription dans le droit commun », était soutenu par la Fédération Addiction, l’UNIOPSS et AIDES. L’exposé des motifs (qui explique ce qui motive le dépôt de l’amendement) demande que les haltes « soins addictions » (HAS) qui ont pris la suite des salles de consommation à moindre risque (SCMR), s’inscrivent dans « le droit commun ». Et les associations d’expliquer : « L’expérimentation de ces dispositifs de réduction des risques a été autorisée en France par la loi de modernisation du système de santé de 2016. Des consommateurs de drogues y sont accueillis pour consommer des produits dans des conditions d’hygiène qui réduisent les risques pour leur santé et ils peuvent y bénéficier d’un accompagnement sanitaire (consultations avec un médecin ou un infirmier, réorientation vers des services d’addictologie ou de psychiatrie…) et social (questions administratives, d’hébergement, de logement, de justice, etc.) ». Deux salles sont actuellement ouvertes, l’une à Paris et l’autre à Strasbourg, et ont fait l’objet d’une évaluation scientifique indépendante (Cohorte pour l’évaluation des facteurs structurels et individuels de l’usage de drogues, Inserm, mai 2021) démontrant que :

    • les usagers des haltes « soins addictions » sont moins susceptibles que les autres de déclarer des pratiques à risques d’infection par le VIH ou l’hépatite C, d’abcès, de faire une surdose, d’aller aux urgences, de consommer (par injection, notamment) dans l’espace public et de commettre des délits ;
    • les haltes « soins addictions » permettent d’économiser onze millions d’euros sur dix ans sur les coûts médicaux chez les usagers fréquentant ces dispositifs ;
    • le nombre de seringues abandonnées dans l’espace public aux alentours des haltes a été divisé par trois depuis leur implantation de la salle de consommation parisienne ;
    • la proportion de délits commis par des usagers d’une salle de consommation est « significativement moins importante » que celle des non-utilisateurs.

    « À la lumière de ces résultats scientifiques datant de 2021, le maintien du dispositif des haltes « soins addictions » en phase expérimentale n’a plus lieu d’être ; elles se doivent d’être inscrites dans le droit commun ».